Fluxus Organico
Ce projet est né de ma rencontre avec l'artiste plasticien Laurent Chiffoleau. Tous deux originaires de cités portuaires, nous nous sommes intéressés aux rôles des ports et des flux de marchandises, ainsi qu'à l'histoire de ces flux humains qui font le métissage des cultures et des peuples.
Argentine
Notre production artistique s'est construite autour d'une résidence mobile en Argentine, inspirés par les racines sud-américaines de Laurent Chiffoleau, et de son exposition Patagonia - présentée en 2014 / 2015 au Musée d'Aquitaine, Bordeaux.
Ce regard porté sur la transformation des territoires par l’interaction des flux, a donné naissance à un concept : l'Organicisme, une philosophie de la nature selon laquelle l'Univers, et tout phénomène qui s'y produit, peuvent et doivent s'expliquer d'après les lois des mouvements matériels.

Peuple Selk'nam ou Onas
Port de San Antonio Oeste, Argentine,
peinture de Laurent Chiffoleau, 2014
Photographie de Nicolas Coutable, 2015

Une couleur rouge vive ressort des navires de pêche échoués sur la plage de San Antonio Oeste. Ce port était parmi les plus importants de Patagonie au XXe siècle, grâce au commerce de la laine. L’arrivée du chemin de fer a forcé l’arrêt de cette activité. Ces vaisseaux immobilisés par l'impact des crises économiques, incarnent les traces laissées par la mutation de l’activité côtière en Argentine. Ces photographies témoignent ainsi de la multiplication des paysages dans l’espace et dans le temps : paysages naturel, économique, industriel, migratoire…
L’artiste Laurent Chiffoleau a projeté l’image spectrale du peuple autochtone Selk’nam sur l’une des coques de ces bateaux, pour sensibiliser le public à l’Histoire de la colonisation en Patagonie. Les Selk’nam ont progressivement disparu à la suite de l’implantation de fermes britanniques sur leurs terres de chasse. Leurs derniers représentants ont succombé aux maladies européennes au milieu du XXe siècle. Le regardant est ainsi invité à projeter sa propre image dans cet espace, afin de réinterroger sa place et sa responsabilité dans l’organisme qu’est notre monde.
A la rencontre des artistes, des acteurs culturels mais aussi des gauchos de Patagonie, nous avons analysé et interprété cet environnement en créant un dialogue entre l'oeuvre picturale et la photographie.

Laurent Chiffoleau
Nicolas Coutable, Patagonie argentine, 2015



Patagonia
Exposition personnelle de Laurent Chiffoleau,
Peintures / vidéos / croquis
Musée d'Aquitaine, Bordeaux, 2014 - 2015
Patagonia
Nicolas Coutable, Argentine, 2015


L'une des actions majeures de ce premier voyage fut la peinture du Patalapin, figure mystique créée par Laurent Chiffoleau et inspirée des légendes patagones. Cette oeuvre éphémère a été réalisée et diffusée par l'artiste dans le port de Bahia Blanca, l'ancienne ville coloniale de Coronel Suarez, et en France dans les villes portuaires de Bordeaux et Dunkerque.
Port de Bahia Blanca
Nicolas Coutable, Argentine, 2015
Réalisation du Patalapin par Laurent Chiffoleau
Nicolas Coutable, photographie, Bahia Blanca, 2015
Le Patalapin
Laurent Chiffoleau, Dunkerque, 2016


Gauchos
Nicolas Coutable, Patagonie argentine, 2015

Anthropocène
Nicolas Coutable, Argentine, 2015
Colombie
Le projet Fluxus Organico nous a amené à collaborer de nouveau, cette fois à l'occasion de l'année France-Colombie portée par l'Institut Français en 2017.
La Fondation ArtVI à Carthagène des Indes nous a accueillis en résidence, un temps durant lequel nous avons fait le constat de la stigmatisation et du racisme institutionnalisés que subissent les populations minoritaires, parfois marginalisées, qui sont issues de l'immigration.
Palenque de San Basilio
Nicolas Coutable, Colombie, 2017

Le village de Palenque de San Basilio fut fondé par le Roi africain Benkos Bioho, au début du XVIIe siècle. Le jeune homme fut réduit en esclavage, puis déporté par les Portugais afin d'être vendu à Carthagène des Indes.
"Fugitif", il fédère d'autres esclaves et s'enfoncent dans les forêts denses du cœur de l'actuelle Colombie, dans le but d'y fonder un nouvel habitat naturellement protégé par les arbres (palenque = palissade).
Benkos Bioho
Nicolas Coutable, Palenque de San Basilio, 2017

Aujourd'hui, les Palenqueros sont leurs derniers descendants. San Basilio, surnommé "le petit coin d'Afrique au nord de l'Amérique du Sud", est inscrit par l'UNESCO sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l'humanité, notamment pour la préservation de sa langue, ses rituels ainsi que sa musique très populaire en Colombie.


Fondée au XVIe siècle, la cité portuaire de Carthagène des Indes fut la porte d'entrée des conquistadors en Amérique du Sud. Cette ville située sur la côte caribéenne est inscrite au patrimoine matériel de l'humanité par l'UNESCO, notamment pour ses fortifications. La presqu'île artificielle et luxueuse rappelle que Carthagène est désormais la capitale du tourisme dans ce pays. Un tourisme qui cède à toutes les dérives, les drogues et la prostitution, aux dépends des populations immigrées vénézuéliennes, afro-colombiennes et afro-descendantes.

Habitat habité
Nicolas Coutable, Place de l'Indépendance, Carthagène des Indes, 2017
A Carthagène, deux mondes s'opposent violemment entre une population blanche mise en avant (portraits des Miss nationales dans la rue ; présentat.eur.rice.s télé ; publicités ; ...) et une population noire ou métisse, pauvre et au service des riches par le biais de petits boulots.
Pour ces individus stigmatisés, le choix réside entre mourir seul dans la rue, sans protection, ou devenir "vendeur ambulant". Une sociologie de ces métiers permet de mieux comprendre les différentes strates entre les classes sociales colombiennes. Laurent Chiffoleau parle ici des "nuances brunes de Colombie" : Colombia Morena.
Vendeurs ambulants à l'arrivée du Pape à Carthagène. Ils sont des centaines à vendre les mêmes produits dérivés, à une population aisée qui ne leur accorde que peu d'attention.
Des jeunes garçons sans le sous aident des pêcheurs à tirer un filet, "contre quelques poissons".






Les Ombres Brunes de Colombie
Nicolas Coutable, périphérie de Carthagène des Indes, 2017
Grâce à la Fondaiton ArtVi, nous avons pu découvrir le quartier marginalisé "Nelson Mandela", en périphérie de Carthagène. Typique des bidons-villes, ce territoire n'est pas reconnu par la municipalité. Y vivent notamment les populations issues de l'immigration, ainsi que Dayro Carrasquilla Torres, jeune artiste colombien qui nous a présenté son travail, à la croisée entre l'art conceptuel et l'action sociale.

Ofelia
Dayro Carrasquilla Torres, Barrio de Nelson Mandela, 2007
L'artiste colombien pose son regard sur la dureté de la vie quotidienne dans son quartier. "Ma production artistique est le résultat de l'analyse du contexte auquel j'appartiens, recourant à des processus à caractère ethnographique, pour comprendre les façons d'être et de se situer."
Ofelia illustre l'intention du travail de Dayro. Celui qui œuvre pour la reconstruction des habitats de ses voisins a réalisé ce cliché en 2007, afin d'alerter les autorités du comportement de cette femme, qu'il a ainsi surnommée en référence à la tragédie Hamlet. Emportée par la folie, l'inconnue se rendait régulièrement dans cette marre pour s'y baigner. En 2013, face au constat de l'inaction des pouvoirs publics, Dayro Carrasquilla Torres a présenté pour la première fois cette photographie en tant qu’œuvre : il y perçoit le symbole de l'abandon et de la déshumanisation subits par les habitants de son quartier.
A suivre ...
Partie III : Sur la route du canal, au Nicaragua !